Micrologies

Sébastien Castellion


Dans son ouvrage Nous les moins-que-rien, fils aînés de personne (1), Jacques Roubaud s’invente douze autobiographies imaginaires, à différentes époques. Il y est aussi bien l’ascète paléochrétien Jacques le Stylite que le poète japonais Ru-Bô, ou encore Orson Roubaud, le cinéaste de La Nuit des lapins géants, émule méconnu de Welles. Ces textes d’une érudition virtuose et d’un humour solide sont teintés d’une profonde mélancolie.

Dans l’un des chapitres, « Cherche ce qui se doit », l’un de ses avatars, Jacobus Robaldus, traverse les agitations spirituelles et guerrières de la Réforme, au XVIe siècle. C’est une évocation passionnante de l’intolérance religieuse en milieu protestant, avant le début des guerres françaises de religion. Très tôt, luthériens et réformés se constituent en Églises et utilisent les mêmes modes d’exclusion et de répression que les catholiques. Les chefs de secte, tel Calvin, se comportent en véritables autocrates.

Cependant, pour échapper aux inévitables dérives institutionnelles, des groupes minoritaires ou des individus cherchent à rester fidèles à l’esprit même de la Réforme : pour eux, la religion doit rester avant tout une affaire privée, un choix personnel plutôt que l’adhésion plus ou moins contrainte à une Église. Le texte de Roubaud s’attache à cette mouvance « anarchiste », impitoyablement persécutée. Il en évoque quelques figures importantes.

On peut trouver ce courant minoritaire chez les anabaptistes, qui prônent le baptême des adultes, librement choisi. Constitués en communautés, ils s’installent notamment dans la ville allemande de Münster, où ils mènent pendant quelques années (1532-1534) une expérience communautaire poussée. La répression est atroce : les cages de fer qui pendent encore aujourd’hui au clocher de l’église Saint-Lambert ont été un criminel instrument d’intolérance, servant au supplice des chefs anabaptistes.

Minoritaires aussi, Sebastian Franck qui prône une Église invisible, sans institutions ni cérémonies, ou encore les nicodémistes, du nom d’un personnage des Actes des apôtres : ils respectent les pratiques et coutumes religieuses du pays où ils vivent, tout en n’en pensant pas moins. C’est ce que fait Hendrik Niclaes, fondateur de la Famille d’amour, secte élitiste d’intellectuels réformés qui compte parmi ses membres l’imprimeur d’Anvers, Christophe Plantin.

Le personnage le plus attachant est peut-être Sébastien Castellion (1515-1563), figure malheureuse de la Réforme française. Formé à Lyon, il se rallie à Calvin après un bûcher de luthériens dans la ville. Il le rejoint à Genève, mais ne tarde pas à déchanter. La dictature jalouse de son maître, les persécutions de la pensée libre, plus tard le bûcher de Servet l’amènent et le maintiennent à Bâle, où il publie une Bible latine et sa traduction française. Roubaud estime beaucoup ce dernier texte, qui utilise une langue simple, par souci de mettre le livre sacré à la portée du plus grand nombre. Castellion fut un homme de tolérance et de liberté, estimé plus tard par un militant de la laïcité comme Ferdinand Buisson, qui lui consacra sa thèse (2).

1. Paris, 2006.
2. Sébastien Castellion, sa vie et son œuvre (1515-1563) : Etude sur les origines du protestantisme libéral français, Paris, 1892.



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