Micrologies

Images de Médée


C'est Euripide qui a créé le mythème de l'infanticide de Médée, à des fins théâtrales, marquant ainsi une rupture avec la Médée magicienne de l'ancienne poésie mélique (1). Cette scène spectaculaire a donné lieu a de multiples représentations plastiques.

Dans son ouvrage Le Sexe et l’effroi , consacré à la peinture antique, Pascal Quignard consacre un chapitre important à des représentations figurées du personnage de Médée (2). Il commente une fresque célèbre de Pompéi (maison des Dioscures), conservée au musée archéologique de Naples. Médée y tient déjà la poignée de l’épée avec laquelle elle va tuer ses enfants, alors que ceux-ci jouent tranquillement à côté d’elle. Immobile, elle baisse les yeux vers eux : non pas hésitation, mais montée silencieuse de l’accès de colère et de folie dolor-furor-nefas, douleur, fureur et crime, selon le schéma développé par Florence Dupont à propos du théâtre de Sénèque (3). Quignard voit dans cette image l’illustration directe d’un passage de la Médée d’Euripide (v. 1078-1079) :

Καὶ μανθάνω μὲν οἷα δρᾶν μέλλω κακά,
θυμὸς δὲ κρείσσων τῶν ἐμῶν βουλευμάτων.

Oui, je sens le forfait que je vais oser ; mais la passion l’emporte sur mes résolutions. (trad. L. Méridier).

Par Olivierw (Travail personnel) [Public domain], via Wikimedia Commons
Médée, Pompéi, Maison des Dioscures, Musée archéologique de Naples, via Wikimedia Commons

À cette Médée antique, il oppose celle de Delacroix : dans le tableau du peintre romantique, les enfants pleurent, tentent d’échapper au bras qui les enserre et au poignard déjà brandi : « À Paris, ce sont des gestes. À Rome, ce sont des regards. À Paris, des enfants inquiets, pleurants, qui se révoltent. À Rome, des enfants qui jouent et qui s’absorbent dans leurs jeux. À Paris, une Médée hystérique qui exprime la situation. À Rome, une Médée absorbée dans sa rage vindicative et qui la médite plus qu’elle ne la contient. À Paris l’acte. À Rome, l’instant qui le précède. […] À Paris, un cri d’opéra. À Rome, le silence obstupefactus » (p. 198). Dans l’œuvre antique, le moment n’est pas dramatique, mais tragique : Médée observe en elle la montée du flux violent (augmentum) qui va l’entraîner à l’acte. Le goût de Quignard l’attire visiblement vers la Médée romaine.

Eugène Delacroix, Médée, via Wikimedia Commons.

Un autre choix esthétique est celui de la Médée de Pasolini. Le personnage joué par Maria Callas tue ses enfants dans la plus grande douceur, en mimant les gestes de l'affection maternelle. La froideur de cette sorte de rite sacrificiel n'en est pas moins effrayante.

1. Voir Florence Dupont, L'Antiquité, territoire des écarts, Paris, 2013, p. 127. 2. Paris, 1994, coll. Folio, p. 186-203.
3. Les Monstres de Sénèque, Paris, 1995.



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