Micrologies

Picasso et Poussin


Dans ses Quatre Conférences (1), Claude Simon s’interroge sur la notion de « modernité » en art, qu’il récuse dans la mesure où elle impliquerait celle de progrès ; il lui préfère les termes de « différences » et d’ « évolutions », qu’il emploie au pluriel.

Plus que le propos somme toute ici assez banal, ce sont les exemples qu’il analyse qui font l’intérêt de ce passage, comme celui-ci :

Ainsi, par exemple, une peinture comme Guernica ne constitue pas un progrès si on la compare à telle bataille d’Uccello ou à telle peinture de Poussin dont d’ailleurs l’influence sur Picasso a été des plus fortes, non seulement dans le domaine de la composition, mais encore d’un certain expressionnisme, comme on peut le voir par la femme agenouillée tenant dans son bras un enfant mort, variation à partir d’un personnage semblable dans Le Jugement de Salomon […].

La figure de l’enfant mort, renversé en arrière, bras ballants est encore plus frappante que celle de la mère : L’effet plastique est analogue, mais le sens de la représentation est inversé : le geste furieux de la mauvaise mère du Jugement de Poussin est remplacé par le hurlement de désespoir de la mère dans Guernica. Chez Poussin, l’enfant mort est un simple paquet auquel la femme ne prête aucune attention ; chez Picasso, il s’insère dans le bloc triangulaire dessiné par la femme ; le mouvement inverse et symétrique des deux têtes intègre les deux figures dans la même expressivité du désespoir.

1. Paris, 2012, p.41-42.

Guernica By Papamanila (Self-photographed) [CC BY-SA 3.0 (httpcreativecommons.orglicensesby-sa3.0) or GFDL (httpwww.gnu.orgcopyleftfdl.html)], via Wikimedia Commons
P. Picasso, Guernica (céramique), détail, via Wikimedia Commons.


Nicolas Poussin, Le Jugement de Salomon, via Wikimedia Commons.


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