Micrologies
En 2010, Antoine Compagnon a consacré à Montaigne son cours du Collège de France (Écrire la vie II). Cet auteur, selon lui, marque une époque entre deux conceptions de l’écriture de vie, celle de la Vie glorieuse et celle de la Vie minuscule, entre la Vie comme modèle éthique et la biographie comme genre moyen ou bas.
Montaigne, explique-t-il, s’appuie sur Plutarque pour opérer une rupture avec le modèle des Vies exemplaires. Il trouve chez l’auteur grec (dans les Œuvres morales, encore plus que dans les Vies) un répertoire de petits faits « intimes » qui cassent le modèle du grand homme : tête penchée ou colères d’Alexandre, blésement d’Alcibiade, etc. Ainsi, le "grand homme" n’existe pas. Montaigne a lu aussi le début de la Vie d’Alexandre, où Plutarque récuse la démarche totalisatrice des historiens : lui se contente des faits, parfois mineurs, qui révèlent le « conseil » intérieur (selon la traduction d’Amyot).
Ces réflexions n’annulent pas les belles pages de François Hartog sur Plutarque (1) qui dans une démarche inverse vont de Plutarque à Montaigne. Le modèle exemplaire, dit-il, est déjà problématique chez Plutarque, puisque les hommes illustres sont comparés entre eux, ainsi qu’à des modèles idéaux des vertus, dans une perspective platonicienne. Aucun n’est donc satisfaisant. De plus, la multiplicité des exemples qu’il trouve chez Plutarque finit par poser problème à Montaigne, chacun d’eux se réduisant de ce fait à un cas particulier de l’histoire. C’est à son livre que Montaigne va confier alors la fonction d’évaluer et de régler sa vie.
Ainsi, « le moment des Essais est capital, car il marque à la fois un temps fort de rassemblement, de célébration et de mise en question de l’exemple. Si Plutarque est un « bréviaire » pour Montaigne, les Essais sont, à leur façon, aussi un tombeau pour Plutarque : célébré, nullement renié, mais dépassé par un monde en perpétuel mouvement sorti du temps stable de l’historia magistra. L’exemple est déstabilisé »(p. 121).