Micrologies

L’Apologie d’Apulée


L’Apologie d’Apulée est un discours brillant, réécrit après avoir été prononcé, comme c’est la règle dans le monde romain, pour faire valoir les qualités de l’orateur. C’est entre 156 et 158 que l’auteur des Métamorphoses est amené à prononcer sa propre défense devant un tribunal de la province d’Afrique, d’où il était originaire. Il plaide contre des parents de sa femme, qui arguent du moindre prétexte pour critiquer son riche mariage avec cette épouse plus âgée que lui : il aurait notamment utilisé la magie pour s’emparer de sa fortune.

Apulée tourne en ridicule avec beaucoup d’esprit des accusations souvent futiles, tout en se livrant à un éloge sincère de la philosophie et du savoir. On croit sentir l’homme derrière les mots, ce qui n’est pas si fréquent : un intellectuel doué et disert, qui maîtrise à merveille l’art de la parole et exerce par ce moyen une supériorité dont il ne fait pas trop étalage. Même s’il s’exprime en latin, on peut le rattacher au courant de la Seconde Sophistique, illustré notamment par son contemporain grec Lucien.

Parmi les exercices de style typiques de cet art de la parole, celui de l’éloge paradoxal ; par exemple, celui du dentifrice (VII-VIII), dont on lui a reproché l’usage : n’est-ce pas un devoir pour l’orateur que de tenir propre sa bouche, animi uestibulum et orationis ianua et cogitationum comitium, « vestibule de l’âme, porte du verbe, rendez-vous des idées » (trad. P. Valette). D’ailleurs le crocodile lui-même ne se fait-il pas curer les dents par un petit oiseau ?

Autre éloge, celui de la pauvreté, qui lui a été reprochée par un de ses accusateurs : la variété des arguments est plus étourdissante que convaincante : la pauvreté fut toujours la compagne des philosophes, dont les emblèmes sont la besace et le bâton des pauvres ; elle préserve des funestes passions ; elle est à l’origine de la grandeur de Rome ; la fortune est un poids inutile que l’on traîne après soi ; le désir d’acquérir est sans fin ; sans compter les exemples, d’Hercule à Socrate ou Diogène. In cauda venenum : son adversaire Émilianus a lui-même longtemps été pauvre avant d’être enrichi par des héritages (XVIII-XXIII). Il vaut la peine de citer cette conclusion :

At tamen parce postea, Aemiliane, paupertatem cuipiam obiectare, qui nuper usque agellum Zarathensem, quem tibi unicum pater tuus reliquerat, solus uno asello ad tempestiuum imbrem triduo exarabas. Neque enim diu est, cum te crebrae mortes propinquorum immeritis hereditatibus fulserunt, unde tibi potius quam ob istam teterrimam faciem Charon nomen est.

Néanmoins, évite à l’avenir, Emilianus, de reprocher aux gens leur pauvreté : naguère encore, ce petit champ de Zarath, que ton père t’avait laissé pour tout bien, à la saison des pluies, seul avec ton petit âne, tu le labourais en trois jours. Car il n’y a pas longtemps que la mort, coup sur coup, de plusieurs de tes proches, t’a procuré l’aubaine d’héritages trop peu mérités : circonstance qui, plus encore que ta sinistre figure, t’a valu le nom de Charon.

Ainsi, Apulée fait feu de tout bois, des considérations morales les plus hautes jusqu’à des arguments qui visent en-dessous de la ceinture. C’est ce qui fait le charme et la limite de son discours : on n’y oublie jamais l'artifice oratoire. La pointe finale de cet éloge de la pauvreté, dirigée contre Émilianus, ramène ce qui précède à des lieux communs du discours, alors même qu’on croyait y sentir le feu de la sincérité. Curieux homme, charmant, et léger malgré toute sa culture.



Site personnel de Dominique Morineau - Hébergé par 1&1.