Dans un texte du corpus des poètes bucoliques grecs, attribué faussement à Théocrite (Idylle XXV, Héraclès tueur de lion), on trouve un beau mot de la langue grecque : τρίβος (tribos) : ce terme désigne un simple sentier, de ceux qui ont été frayés et usés par les allées et venues des passants (du verbe τρίβω, tribô, frotter, user). Le mot garde ainsi la trace des pas qui insensiblement ont dessiné ce chemin. Nous connaissons aujourd’hui de tels « tribos », inscrits dans les pelouses, au coin de nos tours ou de nos barres d’habitation, par le passage des habitants qui créent leurs propres circulations et s’approprient ainsi les espaces mal conçus par un urbanisme trop abstrait.
En lisant le poème, on pense à ces lignes de Philippe Jaccottet sur les sentiers de campagne :
Dans le poème grec, le sentier est emprunté par Héraclès et Phyleus, le fils d’Augias (l’homme des écuries) ; tous deux se rendent des étables du roi à la ville :
« Pas trop visible » : c’est l’humble condition du tribos. Mais dans le poème l’auteur (non identifié) tire de cette modeste sente un bel effet narratif. L’étroitesse du chemin oblige les deux hommes à marcher l’un derrière l’autre, le jeune Phyleus guidant Héraclès. Ils ne peuvent donc se parler, alors même que le jeune homme brûle de curiosité : il voudrait interroger le héros sur cette peau de lion qu’il porte sur les épaules. Aussi, à peine ont-ils atteint une route plus large, il se retourne impatiemment pour poser ses premières questions :
Un peu plus loin encore, Phyleus vient se placer à côté d’Héraclès, pour mieux l’entendre encore :
Le tout dit rapidement, comme en passant, avec une grande délicatesse dans l’évocation des petites choses : c’est tout le poème qui, comme le texte de Jaccottet, semble relever de l’esthétique modeste du tribos.