Micrologies

Art poétique


La poésie d’Horace est sans doute la plus savante et la plus raffinée de la littérature latine ; son style est bien différent de l’ampleur de Virgile ou de la fluidité d’Ovide. Dans ses Odes au moins, brefs poèmes lyriques aux mètres complexes, il semble appeler non la déclamation ni le chant ordinaires à la poésie antique, mais presque la lecture silencieuse.

Le savant allemand Wilfried Stroh explique cette difficulté particulière (et cette réussite esthétique) dans quelques pages de son ouvrage Le latin est mort, vive le latin ! (1). De fait, constate cet auteur, « Horace n’était pas un poète grand public. Bien plus tard, son art par trop subtil eut bien du mal à faire son entrée dans les programmes scolaires. »

Mais « la réussite est totale » : l’art d’Horace tient notamment au placement des mots, comme l’avait perçu Nietzsche, qui admirait « cette mosaïque de mots dans laquelle chaque mot disperse sa force à gauche et à droite et par-dessus l’ensemble, sa force comme son, comme lieu, comme concept » (2). Pour l’illustrer, Stroh analyse l’ordre des mots dans ces deux vers :

Nunc et latentis proditor intumo
Gratus puellae risus ab angulo (Odes, I, 9, 21-22).

Le rire charmant qui, du coin retiré où elle se cachait, trahit ta maîtresse (trad. F. Villeneuve).

Stroh propose cette traduction littérale : « maintenant est bienvenu (gratus) le rire de la jeune fille cachée (latentis puellae) qui la trahit (proditor risus) dans le coin le plus retiré (intumo ab angulo). » De fait, « cet excitant jeu de cache-cache est reproduit dans l’ordre des mots qui déroute le lecteur, on ne peut même pas deviner ce que latentis, proditor, intumo signifient dans le premier vers, jusqu’à ce que le deuxième vers révèle mot après mot le sens, d’abord, puellae, ensuite risus et enfin angulo. »

Poésie savante, certes, qui joue sur la tension syntaxique créée par les différents cas utilisés successivement, (génitif, nominatif, ablatif), mais aussi poésie pour les yeux, qui demande (au lecteur d’aujourd’hui) d’avoir le texte écrit devant soi. Mais beaucoup d’auditeurs romains avaient-ils la contention d’esprit nécessaire à la compréhension immédiate de ces poèmes ? Un commentaire consulté parle de « lecture verticale » pour ce texte. C’est tout dire.

1. Berlin 2007, trad. fr. Paris, 2008, p. 76-78.
2. Cité par Stroh, loc. cit..



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