Mademoiselle de Maupin, le roman de Théophile Gautier (1835-1836), livre audacieux, voire osé, est pourtant empreint de platonisme dans sa peinture de l’amour, mais, pourrait-on dire, d’un platonisme dévoyé. Certes le narrateur principal, D’Albert, approuve le philosophe grec d’avoir chassé les poètes de sa République, mais c’est pour de curieuses raisons :
La poésie n’est pas ici, comme chez Platon, une mimésis au troisième degré, qui éloigne de la réalité idéale dont elle n’offre qu’un reflet dégradé. Au contraire, la faute des poètes est justement d’avoir laissé entrevoir un idéal. Ils ont ainsi désespéré les hommes qui ne pouvaient que constater que celui-ci était inaccessible.
Platonisme pourtant : D’Albert, dandy misanthrope, commence par concevoir un idéal féminin au nom duquel il dédaigne les femmes réelles, y compris sa maîtresse, la charmante Rosette. Quand cet idéal va finir par s’incarner pour lui (comme si c’était l’image parfaite qu’il avait conçue de la femme qui permettait l’apparition de la femme vivante qui l’incarne), il n’est pas au bout de ses peines : avec Mlle de Maupin, on n’est pas très loin des androgynes du Banquet : Madelaine n’apparaît d’abord que sous l’apparence masculine de « Théodore », sous laquelle D’Albert va s’éprendre d’elle ; elle mêle les caractères des deux sexes, puisque son identité de genre ne se résume pas à sa féminité naturelle, mais tient tout autant à l’habit d’homme sous lequel elle vit et auquel elle ne saurait renoncer.
Androgynie qui, de fait, la rend inaccessible à cet homme à femmes qu’est D’Albert : la possession érotique se résume à une unique nuit d’amour : on comprend même que si Madelaine en a bien passé la première partie avec D’Albert, elle en a consacré la seconde à Rosette. Après quoi elle disparaît, laissant une lettre qui se conclut ainsi :
On est bien dans la nostalgie de l’ androgyne premier, qui n’a été entrevu que pour renvoyer à la condition fondamentale d’une existence « aride […] et dévastée » : la séparation.