Micrologies

Aupick


Roberto Calasso (1) rapporte une anecdote savoureuse tirée des Souvenirs littéraires de Maxime Du Camp, l’ami de Flaubert. Pendant leur voyage en Orient, tous deux sont reçus à Constantinople par le général Aupick, ambassadeur de France, et par sa femme. À une question polie de leur hôte : « La littérature a-t-elle fait quelque bonne recrue depuis que vous avez quitté Paris ? », Du Camp répond imprudemment : « J’ai vu dernièrement chez Théophile Gautier un Baudelaire qui fera parler de lui ; son originalité est un peu trop voulue, mais son vers est ferme ; c’est un tempérament de poète, chose rare à notre époque. » Embarras général : l’ambassadeur réagit « comme s’il eût relevé une provocation ».

En fin de soirée, le colonel Margadel, de l’ambassade, emmène Flaubert et Du Camp dans son appartement, au prétexte de leur montrer sa collection de lépidoptères. Du Camp raconte : « Parbleu, me dit-il, vous avez failli mettre le feu aux poudres en parlant de Charles Baudelaire-Dufaïs ; c’est le fils de Mme Aupick : le général et lui se sont souvent pris aux cheveux ; le général ne tolère même pas que l’on prononce son nom devant lui ; vous voilà averti, ne recommencez plus. »

Entretemps, Mme Aupick s’était un instant approchée de Du Camp pour lui glisser : « N’est-ce pas qu’il a du talent ? »

1. La Folie Baudelaire, Milan 2008, trad. fr. Paris 2011, p. 76-77.



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