Qui pense encore à Andromaque ? se demande Roberto Calasso (1). Personne, sauf Baudelaire, traversant la nouvelle place du Carrousel, près du Louvre. Encore n’est-ce même pas l’Andromaque de Racine, la plus connue sans doute, ni celle de l’Iliade : « Elle n’est que l’Andromaque d’un épisode mineur de l’Énéide, que presque tout le monde a oublié. »
Le Simoïs, c’est un des fleuves qui coulaient près de Troie. Énée, qui parle ici, retrouve Andromaque bien loin de la ville détruite, dans son exil d’Épire, où elle a reconstitué une Troie minimale, qui se résume pour elle à une tombe vide qu’elle honore comme celle de son époux Hector, mort naguère à Troie. Le poète se souvient lui aussi d’un lieu qui n’existe plus, ce vieux quartier du Carrousel, chargé d’histoire, qui venait d'être rasé pour les travaux d’urbanisme de Napoléon III.
Pourquoi Baudelaire connaît-il aussi bien ce passage ? Non par familiarité avec Virgile, selon Calasso, mais par l’entremise de Chateaubriand, dont il s’est senti de plus en plus proche : le créateur de « la grande école de la mélancolie », « père du Dandysme » (2). Calasso cite ce passage du Génie du christianisme :
Tout en soulignant les termes qui semblent repris par Baudelaire, Calasso note à l’inverse le caractère éminemment baudelairien de la dernière phrase de Chateaubriand : « Ce qui est absent, ce qui a disparu – tout le passé, donc – est confié à une inexistence inguérissable. Mais ce qui existe est condamné à n’en être qu’une version diminuée. Aussi toute nature est-elle une nature atténuée, qui a déjà perdu quelque chose de sa couleur. »