Comme l’albatros, qui reflète la condition du poète, le cygne, autre oiseau baudelairien, est une image de l’exil, tendant le cou vers un ciel inaccessible et vide :
L’allusion à Ovide renvoie au premier livre des Métamorphoses, où le poète évoque la création de l’homme par la divinité :
L’homme debout apparaît aussi dans d’autres textes anciens. Platon, par exemple, fait un usage métaphorique de cette image (République IX, 586a) : au rebours du poète qui montre l’homme tendu vers le ciel, même vide, il stigmatise ceux qui vivent à la manière des bêtes, le regard tourné vers le sol et les plaisirs animaux, au lieu de s’élever à la contemplation du divin. Son ciel, abstrait, est celui des Idées. Chez Ovide, mais aussi chez Cicéron (De legibus, I, 26) ou chez Sénèque, le ciel est plus concret : pour ce dernier, par exemple, c’est la contemplation des astres et de leur mécanique naturelle qui permet d’accéder à celle de la Nature divinisée.
On ne saurait exprimer plus poétiquement la conformité de la nature humaine à l’ordre du monde.
Baudelaire inverse complètement la perspective : dans son poème, l’homme ne s’oppose pas à l’animal par la station verticale, puisque le Cygne peut lui aussi tendre le cou vers le ciel : c’est même cet oiseau, échappé de sa cage, se traînant dans un ruisseau asséché du pavé parisien, qui est au centre de la comparaison : l’animal est humanisé par la pitié du poète, mais c’est aussi l’être humain qui, à l’inverse, est réduit à la détresse muette de la bête. La rime « Ovide/avide » fait entendre avec insistance le mot « vide », associé au bleu du ciel et à un Dieu bien lointain évoqué sur le mode hypothétique du « comme si ». Le Cygne attend en vain la pluie qui ne vient pas et la foudre de l’orage bienvenu, signe peut-être d’une absence de Jupiter (de Dieu). L’allusion à Ovide, détournée par le poète (« Et le visage humain, qu’Ovide croyait façonné pour refléter les astres […]» Fusées, III), permet alors de renforcer l’ironie de ce ciel à la fois vide et cruel.
L’Homme d’Ovide apparaît aussi dans Jacques le Fataliste, sur un mode mineur, non pas métaphysique, mais parodique : Diderot y décrit le vaste chapeau de Jacques, qui lui retombe sur le visage et l’oblige à marcher le nez en l’air s’il veut y voir un peu :
Dans les Métamorphoses, c’est le dieu créateur qui est sujet de la phrase ; ici, c’est le chapeau. Autre cause pour le même effet. La substitution est parfaitement blasphématoire et l’homo erectus en prend aussi pour son grade…