Micrologies

Ouïe


Dans tout le début de l’Iliade, Achille, brouillé avec Agamemnon et retiré sous sa tente, ne prend plus part aux combats. Il n’est informé de leur déroulement que par les nouvelles qu’on lui en apporte. Au début du chant XVI, c’est Patrocle, en larmes, qui vient lui apprendre la déroute : les Troyens, menés par Hector, sont sur le point de brûler les vaisseaux et de rejeter les Achéens à la mer. Ce point extrême des succès troyens marque aussi le revirement d’Achille : ayant atteint la limite qu’il avait fixée à sa vengeance, celui-ci, sans quitter encore sa retraite, envoie au combat Patrocle, son double et compagnon, revêtu de ses armes.

Le moment de cette décision est indiqué d’une façon bien particulière : c’est à l’oreille qu’Achille perçoit le moment décisif. Le point qu’il s’était fixé, c’est le moment où le vacarme du combat parviendrait jusqu’à l’endroit où il se tient :

ἀλλὰ τὰ μὲν προτετύχθαι ἐάσομεν· οὐδ᾽ ἄρα πως ἦν
ἀσπερχὲς κεχολῶσθαι ἐνὶ φρεσίν·ἤτοι ἔφην γε
οὐ πρὶν μηνιθμὸν καταπαυσέμεν, ἀλλ᾽ ὁπότ᾽ ἂν δὴ
νῆας ἐμὰς ἀφίκηται ἀϋτή τε πτόλεμός τε (XVI, 59-62).

Mais laissons le passé être le passé. Aussi bien, je le vois, n’est-il guère possible de garder dans le cœur un courroux obstiné. Et pourtant je ne pensais pas mettre un terme à ma colère avant l’instant où la huée et la bataille seraient arrivées à mes nefs (trad. P. Mazon).

C’est donc un peu plus tôt que prévu qu’il cède en partie et envoie Patrocle au combat. Ce sont les bruits qui lui parviennent qui l’informent sur l’évolution des combats et motivent sa décision :

οὐδέ πω Ἀτρεΐδεω ὀπὸς ἔκλυον αὐδήσαντος
ἐχθρῆς ἐκ κεφαλῆς· ἀλλ᾽ Ἕκτορος ἀνδροφόνοιο
Τρωσὶ κελεύοντος περιάγνυται, οἳ δ᾽ ἀλαλητῷ
πᾶν πεδίον κατέχουσι μάχῃ νικῶντες Ἀχαιούς (XVI, 76-79).

Et je n’entends pas davantage la voix du fils d’Atrée, parlant du haut de sa tête odieuse. Seule, éclate à mon oreille celle d’Hector meurtrier, donnant des ordres aux Troyens. Et ceux-ci, avec des clameurs, tiennent la plaine tout entière : ils ont vaincu les Achéens à la bataille !

Ce passage nous montre un Achille certes en colère, reclus dans son baraquement, mais attentif, malgré tout, à ce qui se passe loin de lui : il n’entend pas la voix d’Agamemnon et ne perçoit que celle d’Hector : le combat est donc mal engagé pour les Achéens. Achille ne se montre pas encore, mais il écoute déjà.



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