Micrologies

Touffe d'herbes


Albrecht Dürer, Touffe d'herbes, 1503, via Wikimedia Commons.

Cette œuvre de Dürer fut réalisée en 1503, à la plume, à l’aquarelle et à la gouache. Elle représente un enchevêtrement de plantes des plus ordinaires, au bord d’une mare, dans un cadrage qui semble choisi au hasard. Ce qui frappe dans cette représentation banale, c’est la virtuosité du dessin, qui détache avec la plus grande finesse et la plus grande netteté les moindres détails des tiges, des brindilles et des feuilles. L’artiste entend visiblement donner ici une preuve de son habileté.

Un texte du critique d’art Joseph Koerner (1), explique la forme de « pensée visuelle » qui sous-tend cette œuvre. Elle est étrange d’abord par son sujet : les représentations de plantes, à l’époque de Dürer, servent surtout de pourtour naturaliste à des scènes religieuses. Ici, « ce qui était périphérique occupe la totalité de la surface et donne ainsi naissance à une image curieusement dépourvue de centre et de limites » : les herbes sur les côtés s’échappent du champ de la feuille. À côté de la composition ordonnée de la peinture traditionnelle, « il s’agit ici d’un art « extrait » de la nature, où l’extraction et, par conséquent, l’art ainsi découvert sont intimement liés à l’acte de dessiner – d’extraire. »

Il y a ainsi une similitude, ajoute J. Koerner, « entre l’outil graphique de l’artiste – la ligne calligraphique – et l’objet qu’il dépeint. Les brins d'herbe et leurs racines pâles sont surtout linéaires : ils sont donc pleinement rendus par chacun des coups de pinceau avec lesquels l'artiste les dessine, les "extrait". Grâce à l'aquarelle, Dürer a trouvé un moyen de "dessiner en peinture" ». A la différence des dessins de Raphaël, dont les lignes, « violemment mises au service de la découverte de la forme parfaite, paraissent parfois inesthétiques [...], Dürer dessine rarement sans de belles lignes ».

Au centre de l’image, au milieu des racines, on trouve la date de 1503 à laquelle l’œuvre a été achevée. Cette date « renvoie l’image à sa source, à la main de l’homme. Elle interprète ce spectacle fortuit en apparence comme une unité en le rapportant non pas à une totalité de choses dans la nature, mais au geste singulier et irréversible de l’artiste dans l’histoire. » La constance de l’artiste à signer ses œuvres avec son monogramme « A D » « transforme chaque production de l’artiste en élément d’une œuvre ».

1. « La Culture du regard », FMR, éd. fr., nouv. série, 6, 2005, p. 85-112.



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