Dans un chapitre de l’ouvrage collectif La Langue littéraire (1), , G. Philippe retrace l’histoire de la restitution de la pensée dans le roman depuis le XIXe.
Trois phases successives : celle de l’ « impressionnisme », d’abord, ou plutôt du « phénoménisme », qui par des tournures vagues, ou nominales ou impersonnelles, rattache la description de l’objet à sa perception par une conscience ; le tour le plus typique est l’inversion du « caractérisant » et du « caractérisé » : « Les blancheurs de la mer sous l'averse éclairent des lointains surprenants. On voit se déformer des épaisseurs où errent des ressemblances. » : Hugo, Les Travailleurs de la mer. "Les blancheurs de la mer" remplace "la mer blanche". Dans la seconde phrase est même effacée "la mention même du support du caractérisant".
Seconde étape, celle de l’ « endophasie » ou discours intérieur, à partir d’É. Dujardin (Les lauriers sont coupés, 1887). Un procédé caractéristique : les groupes nominaux « thétiques », qui « posent » un élément du réel : « L’escalier. Les premières marches. » : Dujardin.
Enfin, après 1920, l’écriture « phénoménologique » distingue, par des moyens grammaticaux différents, les niveaux de conscience d’un phénomène. Sartre : « Une forêt. Des engagés sur la route. Visages aigres et blêmes, du lait tourné : l’envie. À présent ça crie. » Chaque énoncé, du nominal au verbal, marque un degré supplémentaire de l’attention. C’est aussi l’écriture du tropisme chez Sarraute.
C’est le grand intérêt de cet ouvrage : montrer que l’écriture littéraire n’est pas (seulement) idiosyncrasique (mythe romantique de l’originalité), mais qu’elle s’inscrit dans une « langue » spécifique dont on peut retracer l’histoire commune. Pour les auteurs de l’ouvrage, cette « langue littéraire » se détache de la langue commune au XIXe siècle avant de s’y fondre à nouveau à la fin du XXe.