Un des intérêts du cours qu’Antoine Compagnon a consacré en 2013, au Collège de France, à Proust en 1913 est de montrer l’instabilité d’un texte que Proust remanie sans cesse, jusque sur les épreuves de Swann. Ainsi la phrase devenue la plus célèbre du roman, parce que c’est la première et parce que c’est la plus courte, et qui est comme une sorte de monument plus durable que l’airain, comme eût dit Horace, a subi jusqu’au dernier moment des variations multiples, dont Compagnon énumère quelques-unes :
Ces formules sont-elles moins bonnes que celle qui figure dans le texte publié ? Il est difficile d’en juger. Compagnon montre que ces phrases, qui connaissent elles-mêmes des variantes, correspondent à des inflexions du sens : plus ou moins d’insistance sur les insomnies actuelles du narrateur, alternance entre un temps indéterminé et la référence à un moment précis.
Cela remet surtout en cause, sans doute, le caractère « achevé » du texte : Proust n’a pas tâtonné avant de trouver la « bonne » formule, il a arrêté son texte quand les contingences de la publication ont interrompu son travail. Publié plus tôt, comme il le souhaitait, le texte eût été différent, mais il l’aurait été aussi six mois ou un an plus tard.