Micrologies

Carillon


Le mot « carillon » vient du bas-latin quaternio, « groupe de quatre », qui a donné aussi l’italien quaderno et son équivalent français « cahier » (feuille pliée en quatre, ou quatre feuilles pliées en deux). Un carillon, c’est donc à l’origine un ensemble de quatre cloches accordées sur des notes différentes.

Cette étymologie est utilisée par le philologue allemand Leo Spitzer dans son essai L’Harmonie du monde (1), où il suit la trace de cette métaphore d’un monde clos et cohérent, depuis l’Antiquité jusqu’aux temps modernes : « Les quatre cloches ne peuvent-elles pas représenter un tétracorde, c’est-à-dire les quatre éléments fondamentaux, et, par conséquent, la totalité du monde ? » On pourrait objecter que le tétracorde musical est constitué de notes conjointes (do ré mi fa), et qu’un carillon ainsi accordé ne serait pas des plus harmonieux…

Il n’en reste pas moins que Spitzer traque la métaphore du carillon en montrant qu’elle répond à ce rêve philosophique et religieux de l’harmonie qui baigne les cultures antiques et médiévales et ne commence à s’affaiblir qu’à l’époque moderne. Il en trouve encore l’écho dans Notre-Dame de Paris, dans le mouvement final du célèbre chapitre « Paris à vol d’oiseau » (III, 2), où Hugo nous convie à assister à « l’éveil des carillons », « magnifique concert » qui se développe en « opéra ».

Le célèbre passage […] procède de l’idée de décrire le concert symphonique (qui, avec ce poète, dégénère en un « opéra ») que font entendre l’ensemble des carillons ou les synesthésies qu’ils provoquent (« l’oreille a aussi sa vue » ; « colonnes de bruit, fumées d’harmonie » ; « flûtes de pierre »), plutôt que de celle de décrire chaque carillon se faisant séparément l’écho de l’harmonie du monde. (p. 267)

L’image « dégénère », car pour Spitzer on est arrivé au terme du « processus destructeur de « démusicalisation » et de sécularisation des XVIe et XVIIe siècles » (p. 186) sur lequel, selon lui, Novalis a porté un diagnostic définitif. Avec Hugo, on est dans l’opéra, théâtral et profane, et non plus dans la musique sacrée. Calvinisme, cartésianisme, rationalisme, positivisme ont mis fin à la conception d’un univers fermé et cohérent, pour lequel, on le sent, l’auteur éprouve quelque nostalgie.

1. 1963, trad. fr. Paris, 2012, p. 100 sq.



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