Micrologies

Leiris et Sarraute


Tout inciterait à comparer le début de Biffures, de Michel Leiris, à cet autre texte autobiographique qu’est Enfance, de Nathalie Sarraute : deux auteurs contemporains, nés l’une en 1900, l’autre en 1901, deux enfances parisiennes, deux textes non linéaires, qui agrègent les souvenirs aux émotions, aux expériences rétrospectivement minuscules de l’enfant.

Mais il y a loin d’Auteuil au XIIIe arrondissement des immigrés russes. Chez Sarraute, la remémoration du déracinement affectif s’ancre dans les tropismes, qui font résonner sotto voce la tristesse foncière de l’enfant ; dans le confort affectif et matériel du XVIe, c’est la découverte du langage qui devient l’expérience centrale chez Leiris. Ce sont les interrogations sur les mots qui révèlent la complexité du monde : le terme « …reusement ! » est ainsi le noyau du tout premier chapitre.

La composition des chapitres est raffinée, en étoile (rayonnant autour du noyau central d’une expérience langagière), mais aussi circulaire (la fin du chapitre replie et referme ce qui avait été délicatement déployé).

À la différence de l’écriture de Sarraute, celle de Leiris est parfois inutilement subtile et pour tout dire, empreinte de préciosité. Il faut dire cependant que nul n’en est plus conscient que l’auteur lui-même, témoin ces quelques lignes :

Ce passage – qu’une re-lecture même rapide suffit à me montrer litigieux, à tout le moins assez alambiqué et non exempt de ces trucs grâce auxquels les incertitudes de la pensée sont masquées par le clinquant des mots et ce qui tend à n’être qu’évidence verbale substituée à l’évidence des idées – a pour but etc. (1).

On peut noter bien sûr que la syntaxe de ces quelques lignes n’est pas exempte à son tour du caractère « alambiqué » qu’elle dénonce : chez Leiris, le jeu, le second degré et l’humour sont partie intégrante d’un métalangage.

1. Pléiade, p. 13.



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