Marielle Macé consacre la deuxième partie de son essai Façons de lire, manières d’être (1) aux expériences de lecture de Sartre. « Trouver son rythme » , tel est le titre de ce chapitre.
Selon elle, l’expérience de lecture, pour Sartre, s’inscrit dans le temps, elle est simulation d’un parcours de vie. Singulièrement, ses lectures du temps de guerre (évoquées dans les Carnets de la drôle de guerre et les Lettres au Castor : il lit alors des romans, des biographies) lui permettent d’éprouver des destins virtuels, en compensation de son propre parcours brisé par la mobilisation : vivre dans le livre une « situation » , une « place dans le temps » : le style de vie est pour lui une question narrative. Macé souligne à ce propos les difficultés de Sartre avec l’expérience esthétique immobile, celle du paysage ou du tableau, par exemple.
On retrouve ici des analyses proches de celles d’Antoine Compagnon, qui, dans son cours sur l’écriture de vie (2) proposait une réflexion sur la vie comme récit : dans La Nausée on trouve un procès du récit de vie : « Il faut choisir, vivre ou raconter. » Chez Ricoeur, la « refiguration » du vécu est la forme narrative de la subjectivation. Mais Macé reproche à de telles analyses la disjonction du temps de la lecture et de celui de la vie, car pour elle, lire c’est vivre ; les expériences du temps sont les mêmes dans les deux cas ; il y a des « transfusions » réciproques de temps entre l’expérience de la lecture et celle de la vie.
De même, elle élargit la théorie de Ricoeur selon laquelle l’identité est narrativité, reconstruction narrative du vécu : par les notions de « style » ou de « rythme » , elle explore d’autres temporalités de lecture ou de vie que la continuité narrative. Ainsi, la poésie impose un rythme particulier par rupture du flux continu du discours ; ou encore : Barthes refusait les totalisations, préférant les ruptures, etc. L’important pour elle, c’est la pluralité des expériences de temporalité auxquelles on s’essaye dans la lecture.