Micrologies

Ploutos

La dernière pièce écrite par Aristophane, Ploutos, est souvent jugée sévèrement : « tiède » selon son traducteur V.-H. Debidour, mal composée, sans netteté. L’éditeur de la C.U.F., Hilaire Van Daele, résume ainsi les critiques : « Et une fois sur la pente du dénigrement, on a trouvé la pièce froide, l’invention invraisemblable, les mots d’esprit assez vulgaires, le style prosaïque par endroits » (1).

Que ces critiques aient leur légitimité, on n’en disconviendra pas. Mais comme souvent quand il s’agit d’évaluer le théâtre antique, et particulièrement la comédie, il y est fort peu question de théâtralité (2). Or la pièce possède en ce domaine d’indéniables qualités ; la « pauvreté » relative du texte fait songer parfois à un canevas de commedia dell’arte, offrant au jeu scénique d’importantes possibilités.

Il en va ainsi de la scène initiale, dont le comique est avant tout visuel : le héros Chrémyle, flanqué de son esclave Carion, suit comme son ombre un vieillard décrépit et aveugle, lequel rembarre les deux hommes, n’entendant pas être suivi à la trace. Ainsi l’a voulu l’oracle d’Apollon, à Delphes : Chrémyle ne devait pas lâcher la première personne qu’il rencontrerait en sortant du sanctuaire. Il n’apprendra qu’au vers 78 qu’il s’agit de Ploutos en personne, le dieu de la richesse.

Si ce prologue comprend bien les éléments verbaux attendus (l’exposition de la situation avec plaisanteries verbales associées), il est riche aussi en ressources de jeu : l’aveugle, que Zeus « laisse aller çà et là en heurtant » (προσπταίοντα περινοστεῖν ἐᾷ, v. 121) est suivi par les clairvoyants, inversion de situation qu’on imagine source de gags ; de plus Chrémyle est tiraillé entre Carion derrière lui et Ploutos devant, qui tous deux veulent faire cesser cette poursuite absurde.

On trouve des possibilités analogues dans la suite de scènes décousues qui constituent la deuxième partie de l’œuvre : tout tourne autour de la porte de la maison où se trouve le dieu Ploutos : qui parviendra ou non à la franchir ?

En ce sens, la pièce, malgré ses faiblesses relatives, manifeste un sens consommé du théâtre.

1. T. 5, p. 78.
2. C'est le défaut, par exemple, de l’ouvrage d’Erich Segal, La Mort de la comédie, 2001, trad. fr. Paris 2013.



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