Micrologies

Apocalypse now


Dans Le Temps retrouvé, Saint-Loup, en permission à Paris, évoque devant le héros du roman la beauté des combats d’aviation nocturnes au-dessus de la ville :

« Mais est-ce que tu n’aimes pas mieux le moment où, définitivement assimilés aux étoiles, ils s’en détachent pour partir en chasse ou rentrer après la berloque (1), le moment où ils " font apocalypse " , même les étoiles ne gardant plus leur place. Et ces sirènes, était-ce assez wagnérien, ce qui, du reste, était bien naturel pour saluer l’arrivée des Allemands, ça faisait très hymne national, très Wacht am Rhein, avec le Kronprinz et les princesses dans la loge impériale ; c’était à se demander si c’était bien des aviateurs et pas plutôt des Walkyries qui montaient. » Il semblait avoir plaisir à cette assimilation des aviateurs et des Walkyries et l’expliquait, d’ailleurs, par des raisons purement musicales : « Dame, c’est que la musique des sirènes était d’un Chevauchée ! Il faut décidément l’arrivée des Allemands pour qu’on puisse entendre du Wagner à Paris. »

Charles Dantzig, dans son Dictionnaire égoïste de la littérature française (2), signale la parenté de ce passage avec le film de Coppola :

Les cinéastes peuvent être cultivés. En tout cas, il me fait plaisir de penser que Coppola a mis l’air de la chevauchée des Walkyries dans Apocalypse Now parce que Robert de Saint-Loup, dans Le Temps retrouvé, compare les sirènes annonçant la défense aérienne de Paris pendant la guerre de 1914 à ce même air de Wagner, trouvant qu’elles « font apocalypse » .

Certes, mais il faut aussi noter quelques différences : le son des sirènes (de défense) est remplacé par le fracas des hélicoptères (d'attaque), le regard esthétisant de Saint-Loup (et de Proust), qui rappelle aussi celui d’Apollinaire, par la sauvagerie brutale de l’officier américain. Entre 1914 et le Vietnam, il y a eu l’Allemagne nazie, qui a chargé la musique de Wagner d’un poids beaucoup plus sinistre.

1. Berloque : c’est l’appel de sirène qui signale la fin d’une alerte.
2. Paris 2005, s. v. Cinéma.



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