Micrologies

Les dieux grecs et romains


Un texte important de Paul Veyne (1) étudie les rapports complexes entre morale et religion dans le monde antique, et plus particulièrement les rapports des hommes avec leurs dieux. On se contentera ici d’effleurer quelques aspects de ce très riche article.

Les dieux sont tous respectables, mais en pratique « chaque individu et chaque groupe, outre ses dieux domestiques, rend un culte à une certaine divinité qu’il a choisie. » Qui plus est, « les différents temples de Jupiter ou de Mercure ne formaient pas non plus une Église jupitérienne ou mercurienne sous un pape (2). » Le culte est essentiellement local.

Les dieux, selon Veyne, sont censés partager la même morale que les hommes, mais partagent aussi leurs faiblesses ; de plus, ils ne sont pas les garants de la moralité de ceux-ci. Ils n’interviennent vraiment dans la vie des humains que quand ils sont, eux, lésés. Cependant, dès Homère et Hésiode, on trouve aussi un penchant à croire à une justice divine.

Ainsi, deux conceptions se partagent la société : celle de dieux au mieux indifférents, au pire aussi transgressifs que les hommes, et celle d’une justice rétributive plus proche des hommes. Veyne propose de distinguer entre « les dieux » comme entité, porteurs d’une morale élevée, et les « dieux » pris un par un, dont rien ne garantit qu’on puisse à chacun faire crédit d’une parfaite moralité.

Citons encore la conclusion de ce texte, qui distingue trois âges dans la construction de ces rapports entre l’humain et le divin :

Pourquoi religion et morale seraient-elles liées ? L’adoration d’êtres saints (sinon toujours exemplaires) est une chose, l’existence d’impératifs et d’interdits en est une autre. Une religion de salut absorbe la morale ; le paganisme, lui, a souvent appelé les dieux à l’aide d’une morale qui existait par elle-même. Il l’a fait par trois voies. Une relation s’est établie tout de suite par l’anthropomorphisme, mis au service de la pression morale qu’exerce une collectivité sur ses membres ; toutefois les rapports entre les individus et les dieux restaient le plus souvent leur affaire personnelle et la cité hésitait à s’en mêler. Puis, avec la paideia (qui, me semble-t-il, a été une réforme religieuse plus qu’un voltairianisme), la relation a découlé de l’intériorisation de tous les impératifs dans l’unité d’une personnalité complète, la piété étant devenue l’exercice d’une des vertus. Avec la métaphysique, religion et morale ont été unifiées dans la vision normative d’un cosmos conforme à nos souhaits et donc providentiel ; mais, faute d’un dieu personnel, ce providentialisme risquait de n’être qu’un froid déisme moralisateur.

1. « Culte, piété et morale dans le paganisme gréco-romain » in L’Empire gréco-romain, Paris, 2005, pp. 419-543.
2. Op. cit. p. 425.



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