Micrologies

Thésée et le synoecisme athénien


Histoires grecques, de Maurice Sartre, historien spécialiste de l’hellénisme oriental, est un excellent ouvrage de vulgarisation (1) : aucune note, pas de bibliographie, mais une série de courts chapitres qui étudient chacun un document relatif au monde grec : textes historiques, inscriptions, monnaies… Chaque document dit une histoire. Tous ensemble racontent des histoires grecques et non pas une histoire totalisante.

Le premier chapitre, « Thésée réunit les habitants de l’Attique ou Les origines de la cité » (2) s’appuie sur un extrait de la Vie de Thésée de Plutarque. Le biographe grec, on le sait, a composé des Vies parallèles des grandes figures historiques de la Grèce et de Rome. Mais dans quelques cas, l’ouvrage fait place à des personnages dont l’historicité est plus douteuse, comme Thésée, comparé au Romain Romulus. Ces deux héros présentent cette particularité d’être à la fois légendaires (on prête à Thésée des exploits quelque peu calqués sur les travaux d’Héraclès) et d’avoir une existence historique admise par les Anciens : Thésée aurait eu un rôle important dans la naissance d’Athènes.

Thésée n’est pas le fondateur de la cité grecque à proprement parler : son père Égée en était déjà roi, et les aïeux de celui-ci avant lui. Mais, selon Plutarque et d’autres, il serait le responsable du synœcisme athénien : il aurait rassemblé dans une ville (astu) les habitants de la polis (la cité, au sens politique) jusque-là éparpillés dans des communautés rurales. Il aurait promis aux nouveaux Athéniens une société sans roi et une « démocratie », terme anachronique pour les temps mythiques et que M. Sartre entend comme une égalité de droits entre les chefs des grandes familles.

En fait, la légende du héros athénien résulte de la projection sur le passé mythique de préoccupations bien plus tardives. Sa popularité ne remonte guère au-delà du Ve siècle : quand, entre 510 et 507, Clisthène instaure la démocratie à Athènes, il ne songe pas à inclure Thésée parmi les dix héros éponymes qui donnent leurs noms aux nouvelles tribus. C’est en 475 que Cimon, leader des aristocrates athéniens opposés à la démocratie, exhume dans l’île de Skyros les « ossements de Thésée ». La célébration de ce héros vise alors à rappeler aux Athéniens les principes d’une « démocratie » bien comprise, celle qu’avait instaurée Solon un siècle plutôt et qui réservait l’essentiel du pouvoir aux Eupatrides, aux grandes familles.

L’iconographie confirme pour l’essentiel les analyses de M. Sartre (3): c’est à la fin du VIe siècle que les représentations de Thésée se multiplient sur les vases attiques. Toutefois, il semble être alors utilisé, voire « forgé » comme « symbole de la nouvelle Athènes démocratique – ou comme procédé de propagande. Sur plusieurs vases, sa pose est manifestement empruntée à celle des statues des tyrannoctones Harmodios et Aristogiton, érigées sur l’Agora d’Athènes. » (Harmodios et Aristogiton, meurtriers du tyran Hipparque en 514, étaient devenus les héros de la démocratie naissante.)

Faut-il alors imaginer une « guerre des Thésées », la récupération aristocratique par Cimon venant contrecarrer l’utilisation du personnage par la jeune démocratie ? Ce qui reste sûr, c’est le caractère spécifiquement athénien du héros : sa légende ne se répand que lentement hors de l’Attique.

1. Paris, 2006.
2. Op. cit. p. 17-28.
3. Thomas H. Carpenter, Les Mythes dans l’art grec, Londres 1992 et 1994, trad. fr. Paris, 1997, p. 160-168.



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