L’exposition Une ville pour l’impresssionnisme, qui s’est tenue à Rouen en 2010, a marqué le début d’une réévaluation des liens complexes que la ville a entretenu avec ce courant pictural. Choisie comme lieu de travail par les artistes les plus connus (Monet, bien sûr, mais aussi Pissarro et brièvement Gauguin), Rouen est aussi le foyer de l’« École de Rouen » qui réunit à la fin du siècle des peintres de second rang mais non sans mérite, Angrand, Lemaître, Delattre ou Frechon. Dans le catalogue (1), Laurent Salomé, alors conservateur du Musée des Beaux-Arts de la ville, évoque de façon amusée la difficile réception de l’impressionnisme à Rouen et les diatribes des directeurs successifs de l’établissement contre la nouvelle école.
D’une certaine façon, dit-il, ces critiques sont perspicaces et analysent fort justement certaines tendances de l’art moderne. Par exemple, ils associent volontiers impressionnisme et réalisme, ce qui est vrai quant aux choix des motifs. Le problème est qu’ils rejettent l’impressionnisme pour les raisons mêmes qui le font admirer aujourd’hui :
L. Salomé, qui cite cette analyse de Jules Hédou, président de l’Académie de Rouen (2), la commente ainsi : « Encore une fois, l’attaque formulée par un esprit sophistiqué fournit de fort belles définitions de ce que l’on critique. » Témoin de cette résistance, l’histoire de Léon-Jules Lemaître, envoyé avec une bourse aux Beaux-Arts de Paris auprès de Bonnat, récompensé pour une belle étude d’après Rembrandt, puis privé de sa bourse quand il s’avise de représenter de pauvres gens s’abritant de la neige sous un parapluie. C’est donc d’abord dans des lieux privés (restaurants, collections privées) que l’on peut admirer des œuvres de la nouvelle école. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que le musée de Rouen accueille les chefs-d’œuvre impressionniste de la collection Depeaux.