Nicole Loraux, étudiant la stasis, cette dissension du corps civique interne à la cité grecque, et peut-être constitutive de la cité, évoque la fresque du Mauvais Gouvernement au Palazzo Pubblico de Sienne (1). Parmi les allégories qu’on voit sur la peinture d’Ambrogio Lorenzetti, la figure de Divisio, qui tient une grande scie, avec laquelle elle se tranche le poignet. Elle est vêtue d’une robe partie de noir et de blanc, comme sur un blason : noir et blanc sont précisément les couleurs de Sienne. Un si noir apparaît sur le blanc, un no blanc sur le noir. N. Loraux fait remarquer, après d’autres, que le passage du latin (Divisio) à l’italien (si, no), fait basculer l’allégorie de l’intemporalité à l’actualité la plus immédiate, celle des dissensions civiques à Sienne au XIVe siècle.
La comparaison possible avec la cité grecque, selon elle, consiste en ceci que « la division soit essentiellement caractérisée par le heurt langagier des opinions affrontées ». Faire parler la Discorde, ne fût-ce que par un « oui » et un « non », c’est montrer la proximité entre vie politique et guerre civile, que la tension est permanente entre la cité unie et la cité divisée.
Parcourant le chemin inverse, l’historien du Moyen Âge Patrick Boucheron recourt à la notion grecque de stasis et aux analyses de N. Loraux pour lire la fresque siennoise : la stasis « instaure le lien de la division au cœur de la cité » (3). Il reprend aussi à J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet le concept grec de meson, ce centre vide de l’espace politique où les problèmes sont mis en commun. À Sienne comme à Athènes on retrouve la « sédition fondatrice de la cité divisée » (4).