Le catalogue de l’exposition parisienne sur la mélancolie (Paris, 2005) commence par un beau texte introductif d’Yves Bonnefoy. Celui-ci prêche pour sa chapelle poétique : c’est-à-dire qu’il voit dans la mélancolie le signe même de cet exil que le langage a instauré entre le monde et nous par la décision qu’il définit ainsi :
Si l’on comprend bien, le langage conceptuel offre l’illusion séduisante de l’universel, alors que la Présence au monde ne s’éprouve en fait que dans le sentiment de notre exil et de notre finitude. La poésie et l’art, par et contre la mélancolie, font l’effort toujours recommencé de saisir la présence dans la finitude : effort « toujours recommencé », parce qu’à peine verbalisée, la Présence s’évanouit dans les mots.
Le génie, selon Bonnefoy, est celui qui tient à la fois les deux pôles : l’évidence de la finitude face à la Présence, et le rêve, l’illusion de pouvoir la saisir. Le génie, c’est la mélancolie exacerbée. Michel-Ange, Hölderlin, Van Gogh sont des génies, en ce sens ; pas Van Eyck, Vermeer ni Shakespeare, dans leur évidente grandeur.
Mais seule la poésie, plutôt que les arts, nous arrache un peu à notre exil : « C’est comme si le langage nous accueillait, nous rendait à nous-mêmes au moment même où, c’est vrai pourtant, il nous prive du plus intérieur de ce que nous sommes […]. » (2)