Micrologies

Sérendipité


Le terme « sérendipité » (mieux acclimaté en anglais qu’en français sous la forme serendipity et encore inconnu de beaucoup de dictionnaires, tel le TLF) désigne « le fait de réaliser une découverte inattendue grâce au hasard et à l’intelligence, au cours d’une recherche dirigée initialement vers un objet différent de cette découverte » (Wikipedia).

L’exemple canonique, celui de la découverte fortuite de la pénicilline par Fleming, est appliqué par Claude Simon à la création artistique. Le futur romancier, qui tente alors de peindre, fréquente pendant la guerre Raoul Dufy. Il retient de lui une maxime, qu’il commentera ainsi plus tard :

apporter dans tout travail l’observation la plus attentive au moindre imprévu, et, à l’exemple de Fleming alerté par les moisissures inattendues dans ses éprouvettes, loin de passer outre à ce qui semble un obstacle, paraît contrarier le projet initial, ne le rejeter qu’après l’avoir soigneusement examiné, sinon, bien souvent, en faire son profit, l’intégrer, autrement dit (et ce qui est loin d’être contradictoire), persévérer dans l’effort en sachant, comme me le disait Raoul Dufy, « abandonner le tableau que l’on voulait faire au profit de celui qui se fait ! » (1)

Le terme serendipity est créé par Horace Walpole en 1754. Il provient de « Serendib » , ancien nom de Ceylan, à travers plusieurs contes « orientaux » , dont le plus connu est Zadig. Deux chapitres ajoutés par Voltaire à la fin de ce conte se passent en effet à « Serendib ». Toutefois, c’est au début de l’ouvrage que l’on voit à l’œuvre une démarche inductive d’exploitation d’indices relevés par hasard : Zadig identifie la chienne de la reine et le cheval du roi par les traces qu’ils ont laissées sur le sol.

Mais c’est appauvrir la notion de sérendipité que de la limiter à l’exploitation du hasard. Sans remonter à ses lointaines origines orientales, on peut attribuer le succès de la notion au XVIIIe siècle au livre d’un certain Louis de Mailly, Les Aventures des trois princes de Serendip, paru en 1719 (2). Ce livre est lui-même adapté d’une version italienne due à Armeno (1557), où l’on voit davantage à l’œuvre ce que les philosophes des sciences nomment « abduction », c’est-à-dire « le type de raisonnement permettant de construire des hypothèses à partir d’un ensemble de faits qui ne leur sont a priori reliés en rien » (3). En l’occurrence, en l’absence de toute preuve de la mort pourtant évidente de la princesse Diliramma, les héros, princes de Serendip, vont imaginer un dispositif sophistiqué pour construire le hasard qui leur permettra de la retrouver vivante. La sérendipité est donc bien ici « une quête active », et non « une attente passive devant l’inconnu » (4).

1. Cité par Mireille Calle-Gruber, Claude Simon, une vie à écrire, Paris, 2011, p. 153.
2. Voir la réédition de ce texte aux éditions Thierry Marchaise, Vincennes, 2011, suivie d’un Voyage en sérendipité qui regroupe des études très complètes sur l’histoire de la notion et son usage actuel, par Aude Volpilhac, Dominique Goy-Blanquet et Marie-Anne Paveau.
3. Définition donnée par M.-A. Paveau, op. cit. p. 231.
4. Op. cit. p. 230.



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